Le premier long métrage écrit et réalisé par Mehdi Barsaoui est une coproduction tunisienne de Cinétéléfilms, et française avec Dolce Vita Films et 13 Productions. Il réunit à l’écran Sami Bouajila, Najla Ben Abdallah, Youssef Khemiri, Noomen Hamda, Slah Msaddek et Mohamed Ali Ben Jemaâ. Après une tournée dans les festivals étrangers, il débarque en Tunisie où il sera projeté dans le cadre de la compétition officielle des JCC. Entretien.
«Un fils» est un drame familial sur la question de la filiation. L’idée vient-elle d’une expérience personnelle ?
Le film n’est pas autobiographique. Mais comme tout auteur, je puise mes idées et inspirations dans le quotidien, dans mon background et de mon expérience personnelle. Je n’ai pas vécu ni de près ni de loin la situation que je raconte dans le film. Cependant, j’ai puisé dans l’expérience de ma famille et de mon vécu pour élaborer l’idée du scénario.
Le film aborde aussi la question de l’adultère. Pourquoi vous-êtes vous intéressé plutôt à la question de la filiation qu’à celle de l’adultère ?
Je n’ai pas choisi ces sujets, ce sont eux qui m’ont choisi dans le sens où je suis parti d’une histoire simple celle d’une famille qui se retrouve au mauvais endroit et au mauvais moment et à partir de cet événement va découler une série d’autres événements qui seront liés à cette famille, mais qui vont raconter un peu la Tunisie de nos jours, les mentalités, la société en général. C’est l’histoire qui m’a mis sur ce chemin de la filiation, de l’adultère, de la place de l’homme et de la femme dans la société et de l’émancipation qu’elle soit féminine ou masculine. Si je devais résumer le film, je dirais qu’il s’agit d’une histoire d’amour.
Pourquoi le père voulait-il sauver à tout prix un fils dont l’ADN révèle qu’il n’est pas le sien ?
En fait, c’est là le sujet du film. Qu’est-ce qui font de nous des parents ? Les liens de sang qui nous unissent, les patronymes sur un acte de naissance ? Etre père ou mère n’est qu’une séquence génétique. Entre père ou mère, c’est des sacrifices qu’on est prêt à faire pour ses enfants. C’est l’amour qu’on leur porte indépendamment du liens de sang qui nous unissent.
Vous situez les événements du film en 2011. Pourquoi avoir choisi cette date précisément ?
Le choix de la date n’est pas anodin. 2011 a été une année charnière pour la Tunisie et pour le monde arabe qui a vu un changement à la fois sur les plans social, culturel, politique et religieux. Situer les personnages à cette date- là me permettait aussi de raconter la Tunisie à cette époque qui a bouleversé
notre vie et surtout faire en sorte que la famille soit une métaphore par rapport à ce que l’on a vécu. Si l’on réfléchit bien, les personnages sont dans une période de transition à l’instar de celle que le pays a vécue en 2011.
En cherchant à sauver son fils, le père découvre un réseau de trafic d’organes. Est-ce que ce trafic existe réellement entre la Tunisie et la Libye ?
C’est purement de la fiction dans la mesure où j’ai tout imaginé. Dans la réalité, on a entendu beaucoup de choses, mais on ne connaît pas la véracité de ces informations. Tout était muselé, parfaitement contrôlé par les autorités des deux pays, mais avec la chute des régimes de Ben Ali et Kadhafi énormément de choses ont commencé à refaire surface. Ce qui m’avait choqué en 2011, c’est lorsque la résidence de Kadhafi a été envahie au début du mois d’octobre. Je me rappelle une image sur les réseaux sociaux qui m’avait sidéré, le bouclier humain qui protégeait cette résidence était fait d’enfants. Et du coup, j’ai constaté que l’être humain a atteint le paroxysme de la déshumanisation où chaque chose a un prix et est monnayée. Le déclic a été déclenché en regardant ces images.
Le film est traversé par une tension et un suspense comme dans un thriller. Pouvez-vous nous expliquer votre démarche ?
Comme par rapport à la thématique, je n’ai pas voulu céder aux codes de genre. En envisageant la mise en scène, je ne me suis pas mis dans l’idée de faire un thriller. Je pense que c’est le scénario qui m’a conduit vers cette démarche d’écriture. Autrement dit, les acteurs ont bien joué leur rôle. On n’est pas dans le côté sensationnel qu’offre le cinéma, mais dans une certaine sobriété de mise en scène et la tension est amenée par celle qui existe entre les personnages en eux-mêmes. Les deux personnages, le père et la mère, vivent une situation dramatique et à un certain moment du film, c’est une course contre la montre. Le scénario a imposé son rythme et qui a fait que cette tension reste tout au long du film.
Vous disiez, à juste titre, qu’il s’agit de l’émancipation de l’homme et de la femme. Ne serait-ce pas aussi une émancipation du couple ?
Bien sûr. C’est primordial. Quand on parle d’adultère, il y a quelque part une dénonciation même si je n’aime pas beaucoup ce terme. Je pointe du doigt des problèmes sociaux. Nous vivons dans un pays qui peut être très moderne et avant-gardiste mais, malheureusement, est très conservateur avec des lois liberticides comme celle sur l’adultère. Je condamne l’Etat qui s’immisce dans la vie privée des gens. Je trouve que c’est une violation de la liberté individuelle. En parlant d’adultère féminin ou masculin, je parle certes de l’émancipation d’un couple qui s’affranchit de tous les dogmes socioculturels et religieux qui pèsent. Le but est que mes deux personnages fassent un voyage initiatique, qu’ils aillent au
bout d’eux-mêmes, qu’ils se confrontent l’un l’autre pour s’affranchir de tous les poids qui pèsent sur leurs épaules.
Deux grands acteurs Sami Bouajila et Najla Ben Abdallah incarnent le couple. Comment les avez-vous choisis ?
Sami Bouajila est un acteur que j’admire beaucoup, j’aime ses choix de carrière, les films qu’il fait et son implication dans les personnages, que ce soit dans «Indigènes», «Hors-la-loi», «Omar m’a tuer» ou «Les silences des palais». Ce sont des personnages incarnés et j’avais envie de travailler avec lui. Je lui ai envoyé le scénario, une heure et demie après, il m’a appelé. Nous nous sommes vus quelques jours plus tard. Il a beaucoup aimé le scénario auquel nous sommes restés fidèles sans rien y changer.
J’implique les acteurs dans le sens où nous travaillons ensemble le texte, nous le réécrivons aussi. Je ne suis pas un dictateur au niveau de la mise en scène. Ce que je veux c’est une certaine vérité et authenticité. Je suis à l’écoute, pour le partage, pour le bien du film. Nous avons travaillé sur la diction. Pour Najla Ben Abdallah, c’était beaucoup plus compliqué dans le sens où je lui ai fait passer plusieurs épreuves. Je l’ai casté durant plusieurs mois. Auparavant, j’ai vu plusieurs candidates avant de me décider. Je n’aime pas le casting classique. J’ai donc inventé une scène qui n’existe pas dans le scénario et elle l’a improvisée, ce qui m’a convaincu.
Plusieurs festivals et de nombreux prix. Prochainement, le film sera en compétition aux JCC, quel message voulez-vous adresser au public tunisien ?
J’étais très content d’apprendre que le film était sélectionné à la compétition officielle des JCC. Il a fait sa première projection mondiale à la Mostra de Venise, puis il a enchaîné les festivals. Les JCC seront le premier festival arabe. Le film est destiné au public tunisien. J’avoue que j’angoisse un peu car c’est la première fois que je participe à la compétition officielle des JCC. J’ai hâte de partager le film avec le public tunisien.